bonne santé

Si tu m'avais dit il y a quinze jours qu'un médecin urgentiste avec de grosses poches sous les yeux allait m'annoncer dans un couloir que j'étais porteuse d'une maladie auto-immune grave et trop avancée pour qu'on se permette de faire des vannes dessus, je suis pas sûre que je t'aurais cru. J'aurais du remarque, parce qu'il y a quinze jour j'ai fait un AVC, qui m'a conduit aux urgences, qui m'a conduit devant le diagnostic, qui m'a conduit aux services de réanimation d'un hosto parisien. En débarquant aux urgences à 10h du matin, pour tout te dire, je me voyais sortir à 21h avec une imagerie IRM sous le bras et des cachets. J'avais prévu d'acheter un pack de bière pour fêter mon premier craquage de veine cérébrale, et de téléphoner à mon besthou pour lui raconter la blague.

Il m'a fallu un peu de temps pour digérer l'information : Je suis malade et c'est un peu plus grave qu'une gastro. Jte jure, ça fait tout bizarre. Tu passes de la nana-santé-de-fer à la nana-aux-dialyses-quotidiennes en 12h, ça te laisse un peu sur le carreau, comme un gros flan. Encore maintenant j'ai l'impression que c'est un canular, et que bien que j'ai passé 5 jours en réanimation, et que maintenant je sois enfermée dans cette satanée chambre, c'est juste de la déconne, que d'ici 2 jours on va venir pour m'en sortir en me tapant dans le dos. L'illusion s'étiole un peu dès qu'on m'embarque sur une chaise roulante pour me faire passer des test, et qu'on me traite comme une octogénaire. Y a le regard des blouses blanches aussi. Jl'aime pas ce regard.

Jm'attendais aussi à un éclair de lucidité, tu sais le genre de flash que les mecs ils ont dans les films/séries quand il leur arrive un truc trop naze. Une grosse prise de conscience sur leur existence, où ils se rendent compte de qui ils sont, et de ce qu'ils veulent vraiment, de ce qui est réellement important. Bullshit les gars, à part un vague malaise en me disant "Ah, je suis pas passée loin du black out définitif" il s'est rien passé de transcendantal. Je charie un peu, je suis quand même sacrément contente d'être vivante, et de savoir que j'ai une chance de rémission. C'est déjà pas si mal.

[Ajout concernant l'AVC]

En discutant un peu avec mon entourage familial et étudiant, il me semble important de parler un peu plus longuement des AVC. J'ai eu de la chance, beaucoup de chance, car mon compagnon qui a assisté à la scène a immédiatement réagi et a appelé le SAMU. Moi je ne l'aurais pas fait, parce que ça paraît improbable quand on est jeune et en bonne santé de faire un AVC (alors qu'en fait ça peut toucher n'importe qui, n'importe quand). Petit récit de ce qui s'est passé, en espérant que si jamais ça vous arrive à vous, ou à un de vos proches, vous soyez réactif.

09h du matin, le réveil sonne. J'ai cours à 13h, un paquet de trucs à faire avant, je me motive pour sortir du lit. J'ai une migraine atroce du côté gauche du crâne, et je me dis que ça va passer avec un doliprane et un café. Je descends de la mezzanine, et je manque de me casser la gueule. Ma jambe droite est toute engourdie, et mon bras répond avec un temps de retard. Pied à terre, direction l'armoire à pharmacie. Je dois m'appuyer sur les murs pour avancer, mais rien de grave, j'ai du dormir sur un nerf, ce qui expliquerait cet engourdissement. Doliprane avalé, je fais le petit déjeuner. Mon bras me lâche, impossible de le lever, je fais tomber une tasse dans l'évier. Le bras gauche fonctionne très bien, je l'utilise pour me masser l'épaule. Saleté de fourmis.

09h20, le petit déjeuner est prêt, je m'assois. Il était temps, ma jambe droite a décidé de ne plus me porter. J'appelle mon compagnon, qui émerge du sommeil. Je le salue "Bonjour le chat, biah dimi ?". Temps d'arrêt. "Bien dia ?". Bien dormi ? Dans ma tête c'était clair pourtant. Je me frotte les yeux, et me masse les tempes. Je suis salement exténuée, et cette migraine qui ne veut pas partir... Il descend en se moquant gentiment de moi. "Alors, on a du mal ce matin ?". Je souris, et acquiesse. "Oui, je crois que..." je suis vraiment crevée. Je n'arrive pas à finir la phrase, je ne trouve pas les mots. Je marmonne un vague "mat'" avant de boire une gorgée de thé. Je n'ai pas faim. Pourtant je suis affamée le matin d'habitude. Mon compagnon s'installe près de moi et me regarde "Ca ne va pas ? T'as mauvaise mine. Tu te sens mal ?". J'essaye de lui expliquer, avec un argumentaire en béton armé, que non vraiment, la rentrée et moi on est pas copain. Echec cuisant, rien ne sort, ou tellement déformé que ça en est consternant. Silence. "J'ai un problème", ça y est, j'ai réussi à dire quelque chose de cohérent. Je ne m'en rends pas compte, mais je le répète plusieurs fois, en hochant la tête.

Mon compagnon est blême. Il allume le pc portable, et me demande d'écrire quelque chose. Je cherche sur google "rupture d'anévrisme". C'est la seule chose médicalement pertinente qui me vient en tête, impossible de trouver le mot "AVC". Pourtant, je les ai vu les campagnes de prévention sur les arrêts de métro, avec les signes et le numéro du SAMU. C'était quoi les signes ? Y avait quelque chose sur la parole je crois. Ma recherche google "ruptutiueure anverimeism". Moi qui suis une gramar nazi, ça me tue. Il me demande de lire. J'ai l'impression de réussir l'exercice. "J'appelle le 15. Ferme pas les yeux, regarde-moi, tu restes là ok?". J'essaye de l'en dissuader, d'ailleurs j'ai récupéré l'usage de mon bras. J'arrive, avec une lenteur extrême, à dire une phrase complète "Ca va passer. Je vais en cours." 09h40, le SAMU en ligne, avec le médecin de garde. Décrire les symptômes. Est-ce que j'ai mal à la tête de façon permanente ou par bourdonnement ? J'en sais rien, j'ai juste mal. Je commence à flipper. "Ils arrivent. Comment tu te sens?". Faible, la nausée, mais j'ai l'impression qu'en m'appliquant je peux communiquer. C'est laborieux, les mots se cachent, ou c'est du charabia. Je vais me doucher avant que le SAMU arrive. C'est mon côté maniaque. Et ensuite, les ambulanciers, l'hôpital, l'attente, l'IRM. Et moi qui ne comprends toujours pas ce qui se passe. On m'apprendra ensuite que j'ai fait un AIT, un mini-AVC, mêmes symptômes, même cause, mais en passager.

Les signes d'un AVC - honteusement copié-collé d'ici - :

des étourdissements et une perte soudaine d’équilibre;
un brusque engourdissement, une perte de sensibilité ou une paralysie du visage, d’un bras, d’une jambe ou d’un côté du corps;
de la confusion, une difficulté soudaine à s’exprimer ou à comprendre;
une perte soudaine de la vue ou une vision trouble dans un seul oeil;
un mal de tête subit, d’une intensité exceptionnelle, accompagné parfois de vomissements

Pour l'avoir vécu, il est difficile de penser directement à quelque chose d'aussi grave qu'un AVC. On s'explique nos défaillances par plein de raisons, on se dit que "ça va passer", que ça ne peut pas être bien grave. Et puis, les 5 signes, on ne les a pas toujours tous, et encore faut-il s'en rappeler/les connaître. Pas évident d'arriver à un diagnostic aussi alarmiste sans s'auto-taxer de paranoïaque. Mon seul conseil : soyez parano quand ça devient vraiment trop inhabituel. Et trouvez quelqu'un pour appeler à votre place, surtout si vous baragouinez.

Hier j'allais bien.

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