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2 avril 2015

Le jour où j'ai critiqué Dark Souls

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#paintmaster

J'aimerais revenir sur une anecdote de ma petite vie IRL, qui m'a jetée dans les affres d'un désarroi sans nom. Mais qui, finalement, m'a fait revoir tout mon système de jugements sur la relation entre mise en scène de ses goûts et construction sociale de son identité.

Je sortais de cours il y a de cela quelques années, et sous l'impulsion d'un camarade de classe, nous nous sommes retrouvés 7 autour d'un café dans un bar. Le hasard a voulu que les 3/4 des personnes présentes soient des joueurs chevronés de jeux vidéo. Les aléas de la conversation ont fait que nous avons très vite abordé le sujet des JV, et tout fougueuse d'être entourée par des gens potentiellement amicaux partageant mon goût pour les jeux (mon cercle d'amis est composé de snob versés dans l'intellectualisme à outrance, l'ai-je déjà mentionné?) je me suis lancée dans une diatribe au sujet des problèmes techniques de Dark Souls, et manifestant mon vif mécontentement à l'encontre de la maniabilité du personnage et de la courbe de difficulté complètement débile (mais ce n'est pas le débat). Que n'ai-je dit là ! Si j'avais lâché un étron fumant au milieu de la table le résultat aurait été sans doute le même.

J'ai eu droit à un interrogatoire en règle sur mes préférences jeuvidéoludiques, et réponses apportées, la plupart des joueurs présents se sont lancés des regards de connivence, avant de me sortir "Tu dis ça parce que t'es une casu." C'était la première fois que j'entendais ce terme, n'étant pas habituée au jargon des forums de JV. J'ai demandé ce que voulait dire ce mot, mais j'avais comme la nette impression que c'était pas vraiment gentil. En gros, un casu c'est quelqu'un qui ouvre la bouche et qui attend que les grosses licences lui versent leurs jeux à gros budget dans le bec, et ont un orgasme ensuite. Bref, quelqu'un dont l'ouvrage de référence est Twilight et qui te balance ensuite qu'il est fan de littérature. 

J'avoue que je suis restée bouche-bée. J'ai quand même mon petit côté snob, et me faire classer du côté des moutons avalant de la diarrhée avec plaisir m'a franchement mise en rogne. D'autant plus que déjà à l'époque j'étais ultra critique sur les jeux auxquels je jouais, et j'en connaissais les défauts et les qualités. C'est à ce moment-là que j'ai interrogé mon rapport aux goûts d'autrui. Un peu plus haut j'utilisais une comparaison avec la littérature. En litté, je suis ultra calée, faut le dire. Et pendant trèèèèèèès longtemps j'ai ouvertement méprisé les lecteurs de romans de gare, de romans d'ado pas très fouillés (oui Eragon, c'est de toi dont je parle), bref les adeptes de ce que j'appelais "la littérature facile", cette littérature qui t'offre une histoire pas très inventive de base, mais surtout emballé dans... du papier journal. Le fond et la forme au summum de leur nullité. 

Quand je me suis retrouvée dans le camp des méprisés, injustement selon moi, j'ai enfin vu la lumière céleste. Pourquoi ces gens à qui j'ai parlé de mes goûts m'ont définie comme une casu ? Pourquoi ont-ils été railleurs et désagréables ? C'est une tare d'être un casu ? Pourtant j'ai joué à des jeux très difficiles par le passé, et Dark Souls même si je ne l'ai pas aimé plus que ça, je l'ai fini. Est-ce ma compétence technique qui me vaut ce mépris ? Ou mes goûts ? La réponse paraît évidente, et nous l'expérimentons tous. Lorsque nous disons aimer ou ne pas aimer quelque chose nous ne le faisons pas innocemment. Nos goûts font plus que forger notre identité, ils en sont le reflet. (D'où le fait que le mot "snob" existe, et désigne des personnes s'affichant à contre-courant du mainstream, btw). C'est d'autant plus vrai sur internet, les pages persos en étant le meilleur exemple. Nous avons l'opportunité de sélectionner les goûts que nous souhaitons rendre publics, et que nous pensons révélateurs de notre identité. Sauf que les goûts n'ont pas tous le même poids [--> Dire que je n'aime pas les épinards n'a pas la même portée que de dire que je n'aime pas Stanley Kubrick (Oui, je déteste Kubrick. Et Burton. Et Nolan. Je suis une casse-couille)], et sont TOUS connotés.

Socialement, en disant que je n'aime pas Dark Souls, c'est plus qu'un jeu que je dis ne pas aimer. C'est ce qu'il véhicule (= exigence, investissement du joueur, catalogué comme jeu pour "hardcore gamers"), et si je n'aime pas ce qu'il véhicule cela me classe automatiquement dans une autre case. A noter que cette classification n'est possible que si en parallèle à mes dégoûts sont exprimés mes goûts, donnant ainsi un tableau d'ensemble, un portrait grossier de ma valeur, et donc de ma légitimité. Je pense que vous voyez où je veux en venir.

Nous ne sommes pas idiots, et nous savons qu'une identité ne se résume pas à des préférences, à des références. Pourtant, la plupart du temps nous jugeons autrui selon ce qu'il affiche de lui, selon sa mise en scène, et sur internet cette mise en scène passe en grande partie par des goûts. Il suffit de regarder les commentaires sur un topic d'un forum faisant polémique. Pour légitimer leur prise de parole et de position, les internautes multiplient les références, exibent leurs "trophées". Par exemple, pour justifier une critique assez piquante de Bloodborne (un Dark Souls like), un internaute listera souvent les jeux qu'il a considéré comme difficiles, et ceux qu'il a classé comme faciles, afin de donner au lecteur un aperçu de sa connaissance du sujet, et donc de sa légitimité à en parler (et a fortiori à émettre une critique). Autre exemple IRL : si je discute du dernier roman de Kundera (oui bon, 2014, c'est le dernier hein.) avec quelqu'un, et que cette personne glisse dans la conversation qu'elle adore les romans de Marc Lévy, elle perdra toute légitimité. Pour les non-lecteurs, remplacez Kundera par André Tarkovski et Lévy par Luc Besson. Tout est question de crédibilité.

Je prends des exemples simplistes et carricaturaux, et axe la réflexion sur les goûts alors que bien d'autres facteurs entrent en compte (vocabulaire, ce qu'on sait de la personne, classe sociale, etc.), mais c'est voulu, juste histoire de montrer le poids de la légitimité dans une conversation et comment elle est calculée, jaugée, parfois inconsciemment. Je crois qu'il est important que nous soyions attentifs à ce genre de mécanismes, et que nous les comprenions afin de dépasser notre mépris d'un côté, ou notre complexe d'infériorité de l'autre (coucou la violence symbolique, tout ça tout ça). Ce faisant, nous pouvons élever le niveau des débats en dépassant le clivage du bon goût/mauvais goût, en acceptant sa subjectivité. Personnellement, j'y accorde beaucoup d'importance, même si en ce qui concerne la littérature j'ai encore tendance à considérer avec condescendance les lecteurs de Twilight et de Nothomb (mais un peu moins Nothomb quand même, faut pas déconner). 

Si le sujet vous intéresse, je vous conseille de lire Bourdieu (La Distinction et Les Héritiers surtout), et mon très cher Goffman, spécialiste de la mise en scène. L'ouvrage Mainstream de Frederic Martel est aussi une approche intéressante du marché cinématographique, mais bon, lui je l'aime pas.

 

Qu'est-ce que tu en penses ? Quelles sont les petites catégories que t'as crée dans ta tête ? Tu t'es déjà senti méprisé à cause de tes goûts ? Arrives-tu à te remettre en question sur ce sujet ? Participe à la conversation petit lecteur.

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Commentaires
T
Certains ne savent pas apprécier un bon vin, et alors ? Moi je leur laisse boire leur coca tranquille.
V
Bah justement, j'y mets pas que des critères techniques. Enfin je crois... C'est pas très très clair dans ma tête XD<br /> <br /> Je crois que ce qu'on reconnaît assez peu aujourd'hui, c'est le génie. Je suis sincèrement convaincue qu'il y a des gens qui peuvent et d'autres non. C'est pas facilement explicable, et puis je crois vraiment qu'aujourd'hui c'est impopulaire parce que le génie, justement, ça s'auto-exclut de la définition. Mais clairement, je pense qu'on peut tout faire correctement, genre bon sujet, ambition, attention à l'écriture... Et se planter comme un gros pâté. Bref, si ce sujet n'a pas été tranché en tant d'années, je doute qu'on le résolve dans les commentaires sous un article de blog (aussi fin soit-il).
V
Exactement ce que disait un pote de Jo pour lequel il n'y a pas de Beau/Bon objectif. Et pour lui, ce qui plaît à quelqu'un, c'est beau, point. Et même si je me questionne beaucoup là-dessus, je crois que le relativisme, ben c'est caca. Le fait que quelqu'un soit touché par quelque chose, je crois que ça ne suffit pas pour dire que c'est Beau.<br /> <br /> Justement, je range dans la catégorie "éthique" la répercussion sur le lecteur, et "esthétique" ce que tu appelles "d'un point de vue littéraire". Ce qui ne veut pas dire que je juge le lecteur ou l'auteur, juste l'oeuvre. En tant que texte, Twilight, ben c'est pas bon. Même s'il y a investissement, même si les lecteurs y trouvent leur compte. Je sais que c'est difficilement tenable/justifiable comme position, et même moi j'y trouve des incohérences, mais bon, c'est cool de chercher ;)<br /> <br /> Si ça se trouve, dans 200 ans, Twilight sera toujours pas considéré comme un chef-d'oeuvre absolu. Il y a des oeuvres qui ont toujours été considérées comme mauvaises ;)<br /> <br /> Peut-être qu'il n'y a que le recul dans le temps qui permet de décider. Ou pas... Enfin il me semble qu'il y a assez peu de lecteurs de Twilight qui vont l'étudier avec sérieux pour nous montrer que c'est bien écrit, je suis pas sûre que ce soit leur argument majeur d'ailleurs... Bref, vaste question, mais je maintiens que la pauvreté littéraire de Twilight saute quand même aux yeux, et c'est ça qui fait l'objet de ma critique. Pas la répercussion sur le lecteur. Mais là encore, Pennac le dit vachement mieux que moi...
V
Marrant, on a eu une discussion semblable avec le Namoureux il y a peu.<br /> <br /> Et on en est arrivé à la conclusion suivante : "Tu aimes Twilight si tu veux, ce n'est et ne doit pas être un motif de jugement... n'empêche que c'est de la merde." Idem pour à peu près tous les domaines de la création. Sur un plan éthique, nul ne devrait être jugé pour ses goûts. Sur un plan esthétique, faut pas déconner, L'Homme qui rit ou Cinquante nuances de Grey c'est pas le même combat.<br /> <br /> C'est un groooos résumé tout pourri, mais bon, c'est un peu la base. Et pour le lire exprimé bien mieux, il y a le chapitre "Le droit de lire n'importe quoi" dans Comme un roman de M. Daniel Pennac (si tu ne m'avais pas encore reconnue, cette ultime référence devrait te donner une piste).
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